L'Euro : Un malaise qui se prolonge....

Publié le par Enoch

Dans trois articles de presse, publiés dans les colonnes du Monde, du Figaro et de Valeurs Actuelles, des chroniqueurs et économistes rappellent la fragilité structurelle de l’euro, ouvertement remis en cause par les marchés à la faveur de la crise.

Pour Alain Cotta, l’euro est un "pousse-au-crime" sur lequel l’Allemagne elle-même serait en train de faire une croix. Gérard Lafay, pour sa part, répond à la question du "comment ?" pour ce qui concerne le rétablissement des monnaies nationales en Europe. Enfin, Yves de Kerdrel, chroniqueur au Figaro, n’hésite pas à étriller la pensée dominante qui minimise l’échec de l’euro, appelant à ce que les intérêts de la France soient enfin défendus dans la construction européenne.



 

Alain Cotta : “L’euro ? Un pousse-au-crime !"

Valeurs Actuelles, jeudi 13 mai 2010, propos recueillis par Eric Branca

Professeur émérite à l’université de Paris-Dauphine et auteur de nombreux essais, Alain Cotta n’a jamais cru à la pérennité de l’euro. Comme ses collègues Jean-Jacques Rosa, Gérard Lafay ou Jacques Sapir, il plaide pour une révision complète des traités européens. Pour l’économiste, il faut abandonner la monnaie unique pour une monnaie commune.

Qu’inspire la crise actuelle à l’économiste que vous êtes, hostile au principe de la monnaie unique dès la négociation du traité de Maastricht, en 1991 ?

Quand on a prévu les choses avant qu’elles ne surviennent, on est toujours partagé entre la satisfaction d’avoir eu raison et la tristesse de ne pas avoir été entendu… Mais eu égard à l’intérêt général, c’est évidemment le second sentiment qui domine !

Je suis, pour tout vous dire, très sévère avec les hommes politiques, tout spécialement français.

Et pas seulement s’agissant de leur inculture économique. Ce que je leur reproche, quelle que soit leur tendance, c’est d’être, à de très rares exceptions près, ennemis du raisonnement, du débat au sens philosophique du terme. Dès l’origine, la monnaie unique était un dogme, une eschatologie. Nous avons été un certain nombre à peser le pour et le contre, à nous projeter dans l’avenir en étudiant les scénarios consécutifs à la mise en place d’un système uniforme appliqué à des États dont les traditions politiques, économiques, sociales, et partant les capacités d’adaptation, étaient différentes, et parfois irréductibles les uns aux autres. En face, nous avons trouvé, non des arguments affûtés, mais un mur de mépris. Vingt ans plus tard, ce mur s’effondre. Et les pierres nous tombent dessus…

Pourquoi cet aveuglement ?

Il y a l’Allemagne, et il y a tous les autres. Pour l’Allemagne, l’euro n’était viable qu’à la condition d’être plus fort que le mark. C’est ce qui est advenu. Et c’est ce qui a permis à l’Allemagne, dans un premier temps, de financer sa réunification.

Pour tous les autres, France d’abord, l’euro était un double pari, beaucoup moins glorieux. Le premier, dont nous n’avons pas fini de subir les conséquences, consistait à faire payer aux Allemands le prix de l’abandon de notre souveraineté monétaire. À l’abri d’un euro qui nous empêcherait de dévaluer, nous multiplierions les déficits, notamment commerciaux. Second pari, plus pitoyable encore : ce que les gouvernements n’avaient plus le courage politique de faire, l’Europe nous l’imposerait.

La boucle, ainsi, semblait bouclée : le dynamisme allemand financerait le laisser-aller des autres, et la technocratie bruxelloise porterait le chapeau des mesures impopulaires. “Ce n’est pas nous ! C’est Bruxelles !” : voilà l’argument que les gouvernements gardaient au chaud pour le servir aux peuples en cas de coup dur…

Cela a fonctionné peu ou prou jusqu’au choc de 2008 : se croyant protégés par l’euro, les États ont emprunté sans compter sur les marchés internationaux pour financer leurs budgets, cependant qu’avec son excédent de 200 milliards, l’Allemagne compensait les déficits commerciaux de ses partenaires moins compétitifs, lesquels, en sus, mentaient sur leur situation réelle… Qui pensait sérieusement qu’une telle imposture pouvait durer ?

Vous voulez dire que l’euro a joué le rôle d’un cache-misère…

Pire que cela : d’un pousse-au-crime ! Pendant que sous leurs proclamations de rigueur obligatoire (critères de Maastricht, pacte de stabilité etc.) les traités rassuraient les naïfs, les banques finançaient la gabegie des États, un peu de la même manière qu’aux États-Unis elles finançaient les subprimes des particuliers… L’euro structurellement fort a non seulement pénalisé notre compétitivité, il a aussi et surtout permis aux États de se droguer aux déficits en pensant que, grâce à l’euro, on échapperait à une dévaluation. Et le propre de la drogue, c’est de faire croire que ses effets vont continuer toujours, sans inconvénients.

Étatistes et libéraux se sont pris au jeu : les premiers en pensant qu’ils pourraient continuer sans risque à multiplier les fonctionnaires ; les seconds en comptant sur le marché pour corriger les déséquilibres économiques entre des pays aux caractéristiques de plus en plus contrastées au fil des élargissements… Vanité des idéologies, là encore : on ne peut dépenser durablement que ce que l’on a. Et ce n’est pas le marché qui rendra la société grecque semblable à la société danoise, si tant est que cela soit souhaitable !

Et maintenant ?

Maintenant, tout est clair, et terriblement dangereux : l’Allemagne n’a plus envie de payer pour tout le monde. Et il est clair que même si elle le voulait, elle en serait incapable. Que pèsent ses excédents commerciaux de 200 milliards, qui, je le répète, suffisaient jusqu’alors à équilibrer le déficit de tous les autres, face à la dette accumulée par la seule Espagne, qui est estimée à 600 milliards ?

Le plan arrêté ce week-end a semblé, tout de même, rassurer les marchés…

La conjoncture est ce qu’elle est. Ce qui compte, ce sont les tendances structurelles. Et le phénomène déterminant, pour la zone euro, ce n’est pas le regain de volonté dont a pu faire preuve la Banque centrale européenne (qui, soit dit en passant, s’est assise sur les traités en s’endettant pour éponger des dettes, donc en prenant le risque de provoquer l’inflation). C’est ce que fera ou ne fera pas l’Allemagne pour préserver ses marges de manœuvre. L’Allemagne a payé pour voir. Elle en a tiré des avantages. Elle ne veut à aucun prix être aspirée dans la catastrophe.

Je remarque d’ailleurs que le seul dirigeant européen auquel ait téléphoné Barack Obama, c’est Angela Merkel. Parce que, une fois de plus, l’Amérique et l’Allemagne ont des intérêts convergents. On parle de 3600 milliards de dollars (3000 milliards d’euros) de créances détenues par les banques américaines sur les banques européennes. Les États-Unis, qui ne veulent pas que l’euro plonge, car l’Europe concurrencerait ainsi leurs exportations, s’adressent donc au seul interlocuteur capable, à leurs yeux, de maintenir l’euro à un certain niveau. Et cet interlocuteur, c’est Berlin, qui a toujours voulu un euro fort.

Vous voulez dire que soutenir la Grèce, et demain, pourquoi pas, l’Espagne, le Portugal et l’Italie, c’est prendre le risque de faire plonger l’euro ?

Faute d’en avoir la preuve, j’ai l’intime conviction que l’Allemagne poursuit depuis quelques années, un but bien précis : obtenir le départ de la zone euro des “pays du Club Med”, comme elle les nomme.

Même si ceux-ci, au prix de grands sacrifices, assainissent leurs finances ?

La confiance est rompue. Leur fraude aux comptes publics va laisser des traces et, quoi qu’il arrive, ce ne sont pas les équilibres comptables qui décideront de la suite. Ce sont les mouvements sociaux. En Grèce comme ailleurs, je crains qu’ils soient terribles. On ne peut pas, en quelques mois, en quelques années même, rompre avec des années de laisser-aller. Si faire l’Europe, c’est tirer sur la foule, pourquoi voulez-vous que les peuples y adhèrent ? Je pense donc que l’Allemagne va tout faire pour pousser les canards boiteux vers la sortie…

Et si elle n’y parvient pas ?

C’est elle qui reprendra sa liberté !

En prenant le risque de perdre les créances qu’elle détient, comme nous, sur la Grèce ?

Si, pour récupérer ses créances grecques, l’Allemagne doit, dans la foulée, aider l’Espagne, le Portugal, et demain la France, je pense qu’elle préférera sortir de l’euro. Elle dispose de sa zone d’influence traditionnelle, l’Europe centrale et orientale, à laquelle il faut bien ajouter la France, sans parler de la Russie. Cette zone est aussi un marché, qui a préexisté à l’euro et qui lui survivra. Et ce ne sont pas les institutions européennes qui y changeront quoi que ce soit. D’ailleurs, les a-t-on vus à l’œuvre, ces dernières semaines, alors même que le traité de Lisbonne, qui devait tout régler, a désormais force de loi ? A-t-on vu ou entendu M. Van Rompuy ou Mme Ashton, dont on nous promettait qu’ils seraient “les visages de l’Europe” ? On a vu Mme Merkel et M. Obama, qui incarnent les vrais rapports de force de chaque côté de l’Atlantique. Le reste, c’est du cinéma.

Alors, quelle solution pour repartir d’un bon pied ? Une seule : abandonner la monnaie unique, dont nous avons toujours dit qu’elle serait une bombe à retardement, au profit de la monnaie commune, dont certains avaient rêvé avant Maastricht. Des monnaies nationales, dont la valeur serait gagée sur la richesse réelle des États, coexistant avec une monnaie de réserve commune capable de financer les projets d’intérêt général : je ne vois pas d’autre solution capable de concilier la souplesse qu’exige la diversité des peuples européens avec la stabilité extérieure dont a besoin un continent organisé. Propos recueillis par Eric Branca



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Comment va-t-on recréer le franc ?

Par Gérard Lafay, Le Monde, jeudi 17 juin 2010

Contrairement aux espoirs annoncés, l’euro a manifestement échoué. A l’intérieur de la zone concernée, il n’a engendré qu’une faible croissance économique, une délocalisation des activités industrielles et la persistance du chômage, tout en accentuant les divergences entre les pays membres. La politique de la Banque centrale européenne a en effet suscité une surévaluation chronique de la monnaie unique européenne, et elle a permis un endettement accentué des nombreux agents économiques, tant publics que privés. Au lieu de jouer un rôle d’entraînement, l’Allemagne a mené une politique salariale inutilement restrictive, accentuant le déficit de certains pays de la zone, au point de les conduire au bord du gouffre.

Sur le plan économique, l’euro ne pourrait être poursuivi qu’en menant un fédéralisme budgétaire, solution préconisée par Messieurs Jean-Claude Trichet et Dominique Strauss-Kahn. Cohérente sur le plan économique, cette solution est inapplicable politiquement dans un régime démocratique. Elle impliquerait le même type de transferts budgétaires que celui qui existe, à l’intérieur de chacune des nations, entre les régions riches et les régions pauvres. Or l’Europe n’est pas une nation, qui a l’habitude d’accepter cette forme naturelle de solidarité. Le pays le plus riche, l’Allemagne, exclut même formellement une telle formule, ayant déjà suffisamment payé pour mettre à niveau les länder de l’ex-RDA.

A plus ou moins brève échéance, l’euro est donc condamné. La question n’est donc pas de savoir s’il faut recréer le franc : une telle issue est inéluctable. La seule question pertinente est de connaître les conditions dans lesquelles ce processus va se dérouler.

Le plus grave serait de subir en catastrophe, sous la pression de la spéculation, une dislocation désordonnée de la zone euro. Au lieu de pratiquer la politique de l’autruche, en se berçant d’illusions, il faut donc préparer calmement la solution alternative qui va s’imposer impérativement. D’une part, en précisant les conditions de recréation des différentes monnaies nationales, et en particulier du franc français. D’autre part, en mettant en place un nouveau système monétaire européen.

Techniquement, la recréation du franc français, comme celle des autres monnaies de l’actuelle zone euro, est une solution facile, qui prendra au plus quelques mois. On a déjà l’expérience de l’opération inverse, qui a abouti à la création de l’euro, et on connaît l’exemple de diverses zones monétaires qui se sont scindées, que ce soit lors de la division de la Tchécoslovaquie ou lors de l’éclatement des anciennes fédérations soviétique et yougoslave. Il conviendra simplement de dissoudre la Banque centrale européenne, de répartir ses réserves de change au prorata des apports initiaux, et de restituer à la Banque de France l’intégralité de ses attributions.

La seule question posée est de savoir quel taux de conversion devra être adopté. La première solution, qui satisferait les nostalgiques, serait de prendre l’inverse de ce qui avait été retenu lors du passage à l’euro, c’est-à-dire de revenir au franc ancien qui existait avant 2002, en multipliant tous les chiffres par 6,55957. Cette formule aurait deux inconvénients : d’une part, de favoriser le dérapage inflationniste en troublant les consommateurs, comme ce fut le cas lors de l’opération de 2002 ; d’autre part, de modifier tous les contrats existants. La seconde solution, qui serait sans doute la meilleure, serait de prendre le taux de conversion le plus simple, c’est-à-dire de décréter qu’un franc nouveau est égal à un euro.

NOUVEAU SYSTÈME MONÉTAIRE EUROPÉEN Vis-à-vis des autres monnaies, la valeur d’un franc nouveau sera déterminée par le marché des changes. Elle évoluera en fonction de la politique qui sera menée en France, tant dans l’économie que dans la gestion du change. Il est faux de s’imaginer que notre pays soit fatalement laxiste, car il fut autrefois exemplaire (à l’époque du général de Gaulle jusqu’en 1968, puis de Georges Pompidou). Non seulement la création d’un franc nouveau ne nous dispensera pas des efforts nécessaires pour rétablir la situation budgétaire et pour résoudre le problème des retraites, mais elle facilitera leur solution en permettant de retrouver les moyens de la croissance économique.

La création d’un franc nouveau doit aller de pair avec l’organisation d’un nouveau système monétaire européen, afin de sauvegarder les aspects positifs de l’Europe, tout en tirant les leçons des difficultés qu’avait connues l’ancien SME mis en place en 1979. Il conviendra de ne pas se focaliser sur les taux de change nominaux, mais de ne retenir que les taux de change réels, c’est-à-dire les niveaux relatifs de prix des pays les uns par rapport aux autres. Le maintien d’un taux de change réel exige que le taux de change nominal de la monnaie correspondante puisse varier en fonction des écarts d’inflation, en plus (appréciation) pour un pays peu inflationniste, en moins (dépréciation) pour un pays trop inflationniste.

La mise en place de ce nouveau système monétaire européen implique que l’on mette en priorité la politique de change dans chacune des nations européennes, compte tenu des anticipations des opérateurs. En influant sur le taux de change nominal, et tout en stérilisant ses effets internes, cette politique permet d’obtenir le taux de change réel qui est désiré pour chaque nation. Celui-ci doit être conforme à la solidité de son appareil productif, c’est-à-dire qu’il doit être d’autant plus bas que le pays est plus fragile structurellement afin d’équilibrer sa balance commerciale.

Ainsi, entre les pays européens, il faudra s’accorder sur les niveaux des taux de change réels qui correspondent à leur situation objective, en permettant aux pays en retard de se développer plus vite, mais sans leur donner un avantage excessif de compétitivité. Vis-à-vis du reste du monde, une monnaie commune, telle que l’écu, sera créée comme la moyenne pondérée des monnaies nationales, mais son taux de change réel devra demeurer réaliste, c’est-à-dire que le niveau moyen des prix européens ne devra pas être trop cher.

Mais la politique de change n’est pas toujours efficace si l’on se trouve en présence de partenaires dont la monnaie est visiblement trop bon marché, parce qu’ils achètent des réserves en devises étrangères (cas de la Chine). Sans pour autant s’engager dans la voie dangereuse du protectionnisme, la solution sera alors d’établir les conditions d’une concurrence loyale dans les échanges commerciaux avec les pays fautifs, par des prélèvements à l’importation et par des restitutions à l’exportation, comme Maurice Lauré l’avait préconisé en 1993.

Gérard Lafay, professeur émérite à l’université Paris-II



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L’Europe est bien trop précieuse pour la laisser « aux euro-béats »

Chronique d’Yves de Kerdrel, Le Figaro, mardi 25 mai 2010

Disons-le tout de suite pour dissiper toute ambiguïté : l’auteur de ces lignes est un Européen de raison. Il croit à la nécessité d’un marché unique de 500 millions de consommateurs, où l’ensemble des grands projets sont menés en commun. Il croit surtout à la nécessité de maintenir sur cette planète une force culturelle et politique qui représente trois millénaires d’histoire, face au marché commun que forment déjà la Chine et l’Amérique, et au troisième pôle mondial, que sont les pays émergents.

Mais qui peut croire qu’un projet aussi fou que celui voulu par les « pères fondateurs » de l’Europe, y compris par Adenauer et de Gaulle, puisse aujourd’hui se résumer à une monnaie commune construite sur du sable et utilisée par seulement trois Européens sur cinq ? Qui peut avaler l’argument de tous ces « euro-béats » qui pensent comme Dominique Strauss-Kahn que l’euro et l’Europe sont au milieu de la rivière. Ce qui expliquerait les spasmes que nous vivons aujourd’hui. Ce qui signifierait surtout, selon le bon docteur du FMI, que soit nous revenons vers la rive initiale – et l’euro sort alors de l’histoire (Edouard Balladur dixit), ce qui n’est pas forcément un drame -, soit nous rejoignons l’autre rive du fleuve : ce qui, en termes galants, signifie une Europe fédérale et rien d’autre.

Comment acheter un tel discours ? Comment croire qu’au-delà d’un pacte de stabilité et de croissance qui a été un véritable étouffoir pour tous les pays de la zone euro, une intégration plus poussée va résoudre les problèmes du moment ? Comment imaginer que ceux qui se sont trompés depuis le début, notamment l’ineffable Jean-Claude Trichet, persistent dans l’erreur au point de vouloir tester jusqu’à ses limites, leur logique absurde.

Si l’euro se meurt dans cette période de crise économique, ce n’est ni une question de gouvernance, ni de volonté politique, mais simplement parce que les deux facteurs de production que sont le capital et le travail ne circulent pas dans la zone euro comme ils le devraient dans un espace économique unifié. Aux Etats-Unis, un Texan peut aller travailler demain dans l’Ohio et une entreprise californienne peut investir après-demain en Virginie. En Europe même dans les rêves les plus fous des « euro-béats », un Autrichien n’ira jamais travailler au Portugal et une entreprise italienne n’ira pas investir à Dunkerque.

Tout cela n’a pas empêché nos chers eurocrates de faire ces derniers jours un coup d’état de velours. Ils ont décidé en catimini qu’il fallait une « meilleure gouvernance » de l’euro. Cela signifie qu’ils ont noté, sous la dictée d’Angela Merkel, les trois points suivants : plus de prévention – avec des budgets soumis au préalable à la Commission européenne -, plus de sanctions – avec la suppression des aides et des droits de vote aux pays récalcitrants (bon courage face à la résurgence annoncée des nationalismes) – et enfin plus de compétitivité.

Imagine-t-on que pas un cri d’orfraie n’a été émis par les ténors de la droite comme de la gauche à l’idée que la France va désormais devoir soumettre sa copie budgétaire aux fonctionnaires de Bruxelles qui lui diront quelles corrections y apporter ? S’est-on rendu compte que l’exercice budgétaire est l’une des rares prérogatives du Parlement représentant le peuple souverain, et qu’il en sera quasiment dépossédé ? Surtout a-t-on pris conscience que nous allons donner les clés de notre politique budgétaire à des eurocrates bruxellois qui n’auront de compte à rendre à personne et qui pourront continuer à se tromper comme ils le font avec une régularité de métronome depuis une dizaine d’années.

Ce coup d’état européen a été mené de main de maître avec comme seul argument : si nous ne fixons pas des règles plus contraignantes, l’euro explosera. La peur permet de faire taire les peuples. C’est hélas bien connu depuis Le Prince de Machiavel. Alors que certains hommes de bonne volonté préparent le projet Europe 2020 destiné à restaurer la compétitivité et la croissance du Vieux Continent, l’Allemagne a mené une subtile OPA sur toute l’Union monétaire. Et Angela Merkel se prépare à nous faire avaler une potion amère, dont nous n’aurons pas le droit de choisir le dosage.

Or si l’ensemble de l’échiquier politique – excepté Martine Aubry, bien sûr ! – commence à tomber d’accord sur la nécessité de réduire de manière drastique les dépenses publiques, il faudra un réglage très fin de la réduction de la gabegie budgétaire afin que le choc produit n’ait pas un effet déflationniste à la manière de ce que Laval a fait en 1935.

En voyant les ministres des Finances allemands et français se féliciter de ces nouveaux abandons de souveraineté, l’auteur de ces lignes se demandait : qu’aurait fait et qu’aurait dit le général de Gaulle ? Comment celui qui a incarné la flamme de l’esprit français aurait-il réagi à l’idée de demander à trois chefs de bureaux bruxellois l’autorisation de dépenser l’argent pour construire la force stratégique ? Aurait-il surtout reconnu dans cette Europe-là le projet de communauté d’intérêts établi avec Konrad Adenauer ? Et en levant les bras très haut, avant de les laisser retomber, il se serait sans doute écrié dans un de ses fameux soupirs : « Mais où se trouve donc, dans cette chienlit, l’intérêt des Français ? »

Publié dans politique

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