Crise économique - Y. Cochet à l'Assemblé Nationale

Publié le par Enoch

Débat sur la Déclaration préalable au Conseil européen (14 octobre 2008)

Extrait du compte rendu officiel

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet, pour le groupe GDR.

M. Yves Cochet. Monsieur le président, je parle au nom des députés
Verts.

La catastrophe actuelle n’est pas une crise financière, économique,
écologique, politique, sociale ou culturelle. Elle est tout cela à la
fois et simultanément, ce en quoi elle est totalement inédite.

M. Marc-Philippe? Daubresse. Tout est dans tout !

M. Yves Cochet. Elle est, en un mot, une crise anthropologique. Pour
le comprendre, il nous faut remettre en question toutes nos croyances
– et Dieu sait si elles sont nombreuses ici. Il nous faut décoloniser
l’imaginaire. (Applaudissements ironiques sur plusieurs bancs du
groupe UMP.) Il nous faut penser l’impensable.

La débâcle financière actuelle n’est pas d’abord, comme on l’entend
ici ou là, une crise de liquidité. C’est une crise de surgonflement
des actifs financiers par rapport à la richesse réelle, c’est-à-dire
l’opposé d’une crise de liquidité. Le marché financier, en d’autres
termes le volume des échanges de papier virtuel, est plus de vingt
fois supérieur aux échanges de l’économie réelle. La richesse
réellement existante n’est plus suffisante, comme jadis, pour servir
de gage à la dette financière. Un seuil a été dépassé : le seuil de
liaison entre le capitalisme, fondé sur le crédit, et les ressources
naturelles, qui sont la base de toute richesse réelle.

M. François Goulard. Cela ne veut rien dire !

M. Yves Cochet. Monsieur Goulard, prétendriez-vous que les ressources
naturelles ne sont pas la base de toute richesse réelle ?

M. François Goulard. Mais non, c’est le pouvoir de l’homme !

M. le président. Monsieur Cochet, un discours à la tribune n’est pas
un dialogue. Vous seul avez la parole.

M. Yves Cochet. Je veux simplement dire à M. Goulard : n’achetez plus
de pétrole, ce n’est pas une richesse réelle !

L’effondrement financier actuel s’explique par le dépassement de ce
seuil, par la rupture de cette liaison. Autrement dit : la dette est
totalement dévaluée en termes de richesses réellement existantes.
Avant l’intervention des États et en l’espace de quelques jours,
personne ne désirait plus échanger une richesse réelle contre une
dette, même rémunérée par un fort taux d’intérêt. La dévaluation de la
dette s’explique par cette déconnection, et non pas par un manque de
crédit, d’argent en circulation ou de prêts entre banques – cliché
véhiculé ici et là.

La question principale est donc : la croissance de l’économie réelle
peut-elle être assez forte pour rattraper la croissance massive de la
dette ? (« Ce n’est pas cela ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Évidemment, la réponse est non. La croissance de l’économie réelle est
désormais fortement contrainte par la raréfaction des ressources
naturelles qui forment la base de tous les systèmes de sustentation de
la vie économique et sociale. Cette contrainte s’exerce à la fois en
amont par la déplétion minérale et fossile – par exemple le pic de
Hubbert – et en aval par la pollution de l’atmosphère, des terres et
des océans.

En outre, les inégalités croissantes de revenus depuis trente ans
n’incitent pas les ménages à la consommer, sauf par le biais de
crédits qui gonflent encore plus la dette. Ainsi, les coûts marginaux
de la croissance sont désormais supérieurs à ses bénéfices marginaux.
Autrement dit encore : la croissance physique réelle nous rend de plus
en plus pauvres.

Pourtant, l’aveuglement des dévots de la croissance (Exclamations sur
les bancs du groupe UMP) continue de plus belle ! Ainsi, la
déclaration émise par l’Eurogroupe avant-hier commence de la façon
suivante : « Le système financier apporte une contribution essentielle
au bon fonctionnement de nos économies et constitue une condition de
la croissance. »

M. François Goulard. Oui !

M. Yves Cochet. C’est une forme de religion, une théologie, une
croyance. Mais l’économie réelle n’est plus en croissance – même
négative, madame la ministre : elle est en récession ! Nous pourrions
presque prendre des paris sur l’avenir, hélas, car tout cela est bien
malheureux. Ceux qui, malgré des signes avant-coureurs objectifs,
matériels et présents depuis des années, n’ont pas anticipé, se
trouvent fort démunis, y compris dans leur imaginaire.

Quel objectif devons-nous donc viser, en France et en Europe ? Il
faudrait que les banques tendent progressivement vers un taux de
réserves idéal, c’est-à-dire égal à 100 % de leurs prêts. Toutes les
banques devraient devenir graduellement de simples intermédiaires
entre déposants et emprunteurs, et non plus des « machins » qui créent
de la monnaie à partir de rien et la prête avec intérêt.

M. François Goulard. Elle vient d’où, cette monnaie ?

M. Yves Cochet. Comme je l’ai expliqué, la recherche de la croissance
est désormais antiéconomique, antisociale et antiécologique. La
croissance est appauvrissante. De toute façon, que vous le
reconnaissiez ou non, que vous le vouliez ou non, la récession est
là ! Vous n’avez pas su l’anticiper car vos modèles économiques sont
périmés, et je crains, hélas, qu’à cause de votre aveuglement, elle ne
soit longue et pénible, notamment pour les plus défavorisés, qu’ils
vivent dans les pays de l’OCDE ou dans ceux du sud.

Toutes nos actions devraient être guidées par la volonté de faire
décroître l’empreinte écologique des pays de l’OCDE. Je sais – et les
sourires que je vois me le confirment – que les dirigeants du Conseil
européen et vous-même, monsieur le Premier ministre, avez un autre
modèle en tête afin de retrouver la croissance. Quelle illusion ! Vous
essaierez de sauver la sacro-sainte croissance à laquelle vous croyez
parce que vous êtes incapables d’imaginer un autre modèle économique,
un autre type de société.

L’espoir d’une nouvelle phase A du cycle de Kondratiev succédant à la
phase B que nous traversons depuis trente ans, est vain. Nous ne
sommes pas à l’aube d’une nouvelle croissance matérielle ou
industrielle, mais dans la phase terminale du capitalisme
(Exclamations sur les bancs du groupe UMP), commele disait Immanuel
Wallerstein il y a trois jours.

Les possibilités d’accumulation réelle du système ont atteint leurs
limites, pour des raisons géologiques et économiques que vous ne voyez
pas. II faudrait mettre en place quelque chose d’entièrement nouveau,
une société de sobriété dont je ne peux dessiner, de manière très
sommaire, que quatre orientations principales. Premièrement : tendre à
l’autosuffisance…

M. Marc-Philippe? Daubresse. En matière d’autosuffisance, vous vous y
connaissez !

M. Yves Cochet. … locale et régionale en matière énergétique et
alimentaire, au nord comme au sud. Deuxièmement : aller vers une
décentralisation géographique des pouvoirs – bref, vers une France
fédérale dans une Europe fédérale. Troisièmement : s’efforcer de
relocaliser les activités économiques. Quatrièmement : viser une
planification concertée (« À la soviétique ! » sur les bancs du groupe
UMP) et l’instauration de quotas, notamment en matière énergétique et
alimentaire.

À défaut d’une telle vision et d’une telle action, je crains que notre
continent européen ne traverse bientôt des épisodes troublés dont nous
apercevons déjà les prémisses. Je prends date aujourd’hui devant
vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC.)

John Stuart Mill disait : « Aux grands maux, les petits remèdes
n’apportent pas de petits soulagements, ils n’apportent rien. »

Mme Claude Greff. Vous non plus !

M. Yves Cochet. Les grands maux actuels de l’Europe et du monde
réclament donc une créativité et une inventivité politiques inédites
dans notre histoire. C’est à cette hauteur de pensée et d’action que
j’appelle les dirigeants européens, afin de sauver la paix, la
démocratie et la solidarité. (Applaudissements sur plusieurs bancs des
groupes GDR et SRC.)

Publié dans politique

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